Disculper le capitalisme et l’économie de marché pour justifier l’accélération des réformes libérales, tel était le sens du discours prononcé jeudi soir, à Toulon, par le chef de l’État. Retour sur une mystification.
1 - « L’État est de retour »
Certains commentateurs n’ont pas hésité à saluer, au lendemain de son meeting à Toulon, le « volontarisme » de Nicolas Sarkozy face à l’ébranlement du système financier et économique mondial. Le discours du chef de l’État fut pourtant tout entier guidé par l’objectif libéral d’un État minimal qui fonde sa politique.
Son plaidoyer initial en faveur de « régulations » et d’un « nouveau rapport » entre le politique et l’économie fut aussitôt contredit par l’énumération de mesures pour un État allégé : poursuite de la révision générale des politiques publiques (RGPP), annonce de l’ouverture, dès janvier, du « grand chantier de la réforme de nos administrations locales », démantèlement des administrations et des services publics sous couvert de « réorganisation ». Tout cela signifie, estime le syndicat FO, « moins de présence de l’État (…) et le détricotage de la République ». Commentant le propos du chef de l’État selon lequel « l’idée de la toute-puissance du marché (…) était une folie », l’eurodéputé socialiste Benoît Hamon fait mine de s’interroger : « Qui sont donc ces fous qui organisent dans tous les domaines les reculs de l’État ? »
2 - « Pas de plan de rigueur »
« Dans la situation où se trouve l’économie, je ne conduirai pas une politique d’austérité qui aggraverait la récession », a lancé sans ciller Nicolas Sarkozy. Avant de citer, avec le même aplomb, à la veille de la présentation du budget 2009 en Conseil des ministres, tous les ingrédients du parfait plan de rigueur. Cible première des « économies » que le chef de l’État compte réaliser pour combler un déficit de 49 milliards d’euros : les politiques publiques et les budgets sociaux. En revanche, pas question, a-t-il prévenu, de toucher aux 32 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales consenties aux entreprises en 2008, ni aux 15 milliards que coûte annuellement le « paquet fiscal ». « L’année prochaine, c’est un total sans précédent de 30 600 emplois qui seront supprimés dans la fonction publique », s’est félicité le chef de l’État, avant de promettre une « réforme de l’hôpital » qui permettra de « supprimer les dépenses inutiles » et une mise au pas des fonctionnaires, sommés de réaliser des « gains de productivité ». Le contempteur des « dogmes » s’est montré très discipliné sur celui de réduction des dépenses publiques, dogme figé par le Pacte européen de stabilité. Enfin, la réforme de la taxe professionnelle, qui mettra au régime sec des collectivités territoriales déjà étranglées financièrement, « ne sera pas différée ». « Le président tire aujourd’hui prétexte de la crise économique pour justifier l’accélération d’une politique d’austérité », a commenté Michel Sapin, secrétaire national du PS à l’économie.
3 - « La politique monétaire sous contrôle »
Nicolas Sarkozy s’est glissé sans complexe, jeudi soir, dans le costume de gouverneur de la Banque centrale européenne. Pour se poser en pilote d’une politique monétaire dont il défendit pourtant, lors du référendum sur le traité de Maastricht, le transfert à Francfort. « Il faudra imposer aux banques de financer le développement économique plutôt que la spéculation », a-t-il affirmé, sans préciser les instruments d’une telle réorientation. « Quoi qu’il arrive, l’État garantira la sécurité et la continuité du système bancaire français », a assuré le président en envisageant d’éventuels apports de l’État en capital. « Si les difficultés devaient entraîner une restriction du crédit qui priverait les Français et les entreprises (…) des moyens de financer leurs investissements ou d’assurer leur trésorerie, l’État interviendrait pour que ces financements puissent être assurés », a-t-il assuré. Autant de promesses en contradiction totale avec le carcan d’une politique monétaire de l’UE dédiée à la seule « stabilité des prix », et avec une réglementation européenne de la concurrence qu’il a toujours défendue.
4 - « Le dogme européen de la concurrence visé »
« L’Europe doit engager une réflexion collective sur sa doctrine de la concurrence, sur les instruments de sa politique économique, sur les objectifs assignés à la politique monétaire », a plaidé le président. Le même, pourtant, a apposé sa signature au bas du traité de Lisbonne qui recycle le projet de constitution européenne et sa pierre angulaire, le principe de « concurrence libre et non faussée ». Un texte qui consacre, au nom de ce principe, les politiques européennes de déréglementation, de dérégulatation et de démantèlement des services publics. Ce texte, dont Nicolas Sarkozy revendique la paternité, consacre également la toute-puissance et l’indépendance de la BCE, ainsi que sa mission : la conduite d’une politique monétaire qui inflige aux Européens, au nom de la lutte contre l’inflation, un blocage des salaires préjudiciable à la croissance de la zone euro. Enfin, ce texte, qui interdit toute restriction aux mouvements de capitaux, condamne par avance les promesses de Nicolas Sarkozy sur un éventuel contrôle des « paradis fiscaux ».
5 - « Le pouvoir d’achat sera protégé »
Contre l’évidence, Nicolas Sarkozy continue de s’afficher en « président du pouvoir d’achat ». « Je n’accepterai pas les hausses des impôts et des taxes qui réduiraient le pouvoir d’achat des Français. Mon objectif est de rendre du pouvoir d’achat aux Français, non de leur en prendre », a-t-il déclaré. Avant de justifier la création d’une taxe dont les plus riches sont exonérés grâce au bouclier fiscal pour financer le RSA, ou encore l’instauration de « taxes vertes » pesant davantage sur les citoyens que sur les industriels. « Dans un monde de la rareté, il va falloir payer plus cher le pétrole, le gaz, les matières premières », a-t-il prévenu. Manière de disculper au passage les compagnies pétrolières aux bénéfices colossaux et les spéculateurs qui ont fait flamber le prix des matières premières agricoles. « Les salariés apprécieront : pour les spéculateurs, un discours sur l’éthique en défense du capitalisme ; pour les salariés, les sueurs et les larmes », a réagi FO.
6 - « Pour gagner plus, travailler plus »
Le renouvellement des promesses de campagne sur l’encadrement des parachutes dorés masque mal l’austérité salariale voulue par Nicolas Sarkozy. Le chef de l’État, qui compte encourager l’intéressement et généraliser les stock-options, juge que « tout ce qui contribuerait à alourdir le coût du travail serait suicidaire ». « Réduire les exonérations de charges sur les salaires, ce ne serait pas reprendre un cadeau aux entreprises, ce serait contribuer à détruire l’emploi au moment même où le ralentissement de la croissance fait repartir le chômage à la hausse », a-t-il insisté. Puis le président a entonné, de nouveau, le refrain usé de sa campagne présidentielle : « La France s’en sortira non en travaillant moins mais en travaillant plus », a-t-il répété. Ce qui laisse « sceptique » la CFE-CGC, dont le président, Bernard Van Craeynest, ironise sur le « travailler plus sans forcément gagner beaucoup plus ». « Les entreprises obtiennent de nouveaux cadeaux fiscaux », alors qu’une « fin de non-recevoir » a été opposée aux revendications salariales, a dénoncé, de son côté, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault.
7 - « Les réformes libérales comme remède »
Le tremblement de terre dans la finance va « changer » le monde, mais pas la politique de contre-réformes libérales conduite par le gouvernement, a prévenu Nicolas Sarkozy. Selon lui, « la crise appelle à accélérer le rythme des réformes, en aucun cas à l’arrêter ou à le ralentir ». Pas question, donc, de renoncer à déréglementer tous azimuts, à « flexibiliser » les salariés en mettant en pièces le Code du travail, à démanteler les protections sociales et les services publics, à refonder la fiscalité au profit des privilégiés. Une attitude de « chauffard », s’est indigné le PCF. « Président de la République depuis dix-huit mois, M. Sarkozy ne peut plus longtemps se dédouaner de l’échec de la politique économique et sociale qu’il a insufflée », a réagi le PS. Il cherche à « appliquer une stratégie de choc », analyse de son côté ATTAC, et à « profiter de la crise pour aller plus loin et plus vite dans les réformes néolibérales ».
8 - « Le capitalisme n’est pas en cause »
Là se situe sans doute le plus magistral boniment du chef de l’État. Lequel, après avoir dressé un réquisitoire sans appel contre les « dérives » du capitalisme financier, a assuré que ni l’économie de marché ni le système capitaliste en tant que tels n’étaient en cause. Il a pour cela tenté d’opérer une césure entre un capitalisme industriel supposé vertueux et un capitalisme financier coupable de tous les maux. Une distinction jugée irrecevable par certains de ses détracteurs. Selon FO, « l’affirmation que cette crise ne serait pas celle du capitalisme mais d’un système financier peut laisser perplexe ». « Il n’y a qu’un capitalisme, lorsque Renault licencie, c’est au nom d’une rentabilité financière », fait aussi remarquer Bernard Thibault. Même analyse pour le PCF, qui met en cause « la recherche du profit, son accumulation et la spéculation (qui) fondent » ce système. Pour le sénateur socialiste Jean Luc Mélenchon, c’est « le système capitaliste lui-même (..) qui doit être dépassé pour sortir de la crise économique et écologique ». Une analyse plutôt iconoclaste au sein de son parti : le PS, adepte de « l’économie sociale de marché » et d’un « capitalisme régulé », se contente d’appeler le chef de l’État à « cesser les beaux discours » et à « agir pour amortir les effets de la crise ».
Rosa Moussaoui