ALARMANT. Benzodiazépines et démences, les liaisons dangereuses ? C'est ce qui ressort - une nouvelle fois - d'une vaste étude publiée par des chercheurs français le 19 novembre 2015. Le risque de développer une démence est accru de 60% chez les personnes consommant des benzodiazépines, en particulier celles dites "à demi-vie longue" (cf. encadré), selon les résultats publiés dans la revue Alzheimer’s and Dementia par l'équipe Inserm du Centre de recherche Epidémiologie et biostatistique à l’Université de Bordeaux, dirigée par le Pr Christophe Tzourio.
Cette classe de médicaments psychotropes (anxiolytiques ou somnifères) est prescrite dans la grande majorité des cas par le médecin généraliste pour traiter les symptômes de dépression, l'insomnie ou l'anxiété. L'Inserm estime ainsi que 30% des personnes âgées de plus de 65 ans en consomment.
Benzodiazépines : demi-vie longue ou courte, késako ?
La demi-vie est le temps requis pour que la concentration de benzodiazépine dans le sang diminue de moitié. Un temps qui peut être relativement court (5-6 heures) ou beaucoup plus long (jusqu'à 200 heures).
En théorie, la consommation de benzodiazépines doit rester ponctuelle : pas plus de 12 semaines pour le traitement de l'anxiété et 4 semaines pour les insomnies. Mais dans les faits, les patients les consomment parfois pendant une ou plusieurs années ! Ils font même pression sur les médecins pour les obtenir, afin de faire des nuits complètes ou de se libérer d'une anxiété quotidienne et handicapante. Pour le Pr Christophe Torzio, il est grand temps de prendre à bras le corps ce problème : "Oui, il y a de quoi s'inquiéter. D’autant que ce n'est pas la première fois que cette association forte [entre benzodiazépines et démence] est constatée. Cela a déjà été fait de plusieurs façons différentes. Certes, il subsiste toujours un doute scientifique sur la causalité de l'association. Mais le fait que des résultats similaires aient pu être reproduits plusieurs fois ces dernières années doit alerter sur les pratiques en France." Si ces médicaments étaient pris comme ils devraient l'être, dans le respect des recommandations, "il est tout à fait possible qu'il n'y ait pas de sur-risque" reconnaît le chercheur. Mais ce cas de figure est rare : "nous avons pu le constater sur les 8.240 personnes suivies dans l'étude", précise-t-il.
Méthodologie de l'étude
8240 personnes âgées de plus de 65 ans ont été suivies pendant 8 ans. Une procédure de dépistage et le diagnostic de chaque cas de démence a été mise en place par un comité d’experts. Il a été procédé, à domicile, à l'enregistrement systématique de tous les médicaments consommés par les participants en confrontant avec les ordonnances. 830 nouveaux cas de démence ont été diagnostiqués lors du suivi.
Il faut que cela s'arrête" - Pr Christophe Torzio
Le Pr Torzio refuse de jeter la pierre aux médecins en les accusant de sur-prescription, estimant que le problème doit être envisagé de façon plus globale : "On sait très bien comment cela se passe : le généraliste se retrouve face à une personne âgée qui prend son petit comprimé depuis des années et peut se montrer très insistante. Il y a en général une très forte résistance de cette personne à se passer du médicament auquel elle est habituée et qui lui apporte un bénéfice immédiat. Et au final, si le médecin résiste lui aussi, le patient - qui est aussi un client - va se tourner vers un médecin plus conciliant..." Le chercheur espère donc que la publication de ces récents travaux va offrir un outil renouvelé pour convaincre d’une action à mener, tant du côté des prescripteurs que des agences de santé publique. "La Haute autorité de santé (HAS) comme l'Agence nationale du médicament (ANSM) sont tout à fait conscientes du problème et envisagent sérieusement de réguler de façon beaucoup plus drastique l'usage des benzodiazépines. Elles étaient d'ailleurs très satisfaites de nos travaux", confirme Christophe Torzio.
"Les Français sont les plus gros consommateurs de benzodiazépines au monde et il faut que cela s'arrête. Il faut que les patients âgés se rendent compte que leur sommeil ne peut plus être d'aussi bonne qualité que lorsqu'ils avaient 20 ans. Car nombreux sont ceux à se plaindre de nuits hachées tout en faisant des siestes l'après-midi. Alors que même un sommeil déstructuré peut s'avérer de bonne qualité. Même si cela relève bien sûr du cas par cas, certains patients ayant des niveaux de stress très élevés qui justifient le traitement."
En conclusion, "nous encourageons vivement les médecins prescripteurs à favoriser au moins l'usage des benzodiazépines à demi-vie courte" pour lesquelles les risques de démence semblent moins important.
Source : http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20151215.OBS1384/benzodiazepines-oui-il-y-a-de-quoi-s-inquieter.html