Le point sur l'indépendance de la Catalogne

Le référendum d’indépendance de la Catalogne met à l’épreuve le régime espagnol de 1978. Il rencontre une répression féroce de la part de ce dernier. Nous soutenons le droit à l’autodétermination du peuple catalan.

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La relation entre la Catalogne et l’Espagne est brisée. Lors des élections du parlement en 2015, près de 2 millions de Catalans ont voté pour les partis indépendantistes. Deux ans plus tard, le gouvernement tente d’organiser un référendum non autorisé par l’Espagne pour déclarer la sécession. Focus sur la dernière décennie pour comprendre comment l’on en est arrivé là.

La Catalogne est une autonomie de l’Espagne. Elle est régie par un statut autonomique depuis 1979. Une sorte d’avenant à la Constitution espagnole qui offre certaines compétences en matière d’éducation, de sécurité, de transport et de santé. Ça ne veut pas dire que l’exécutif catalan (le gouvernement appelé la Generalitat) ou le législatif (le parlement de Catalogne) puissent agir indépendamment de l’Espagne. L’Etat Espagnol garde toujours un œil sur les actions politiques de la Catalogne et n’hésite pas à recourir au tribunal constitutionnel pour annuler des lois votées par le parlement catalan.

Ces dernières années plus d’une cinquantaine de textes ont été suspendus ou supprimés par l’autorité constitutionnelle. Des dispositifs légaux comme un revenu minimum pour les familles les plus pauvres, la non-coupure des énergies premières en hiver à des fins sociales, l’horaire d’ouverture des commerces ou encore l’interdiction des corridas ont été systématiquement retoqués par le tribunal constitutionnel. Si autant de lois catalanes sont rejetées depuis des années, ce n’est pas d’une volonté de rébellion de la Catalogne vis-à-vis de l’Espagne. D’abord comme toute cour constitutionnelle, quand le tribunal espagnol rend ses décisions, il y a une part de subjectivité quant à l’application pratique de la constitution.

Surtout le texte fondateur de l’Espagne démocratique de 1978, au sortir de la dictature franquiste, a été rédigé d’une manière rapide et a cherché un large consensus pour satisfaire tous les secteurs de la société espagnole. L’armée toute puissante à la fin de la dictature militaire voulait un état centralisé autour de Madrid tandis que les régions historiques (qui existaient avant l’Etat espagnol) comme la Galice, l’Andalousie, le Pays Basque ou la Catalogne voulaient des prérogatives locales. De ce fait a accouché une constitution souvent peu claire, bancale, sur le champ des compétences qui se distribuent entre gouvernement espagnol et l’autonomie catalane. Force est de constater qu’en cas de litige, dans la grande majorité des cas, le tribunal constitutionnel tranche en faveur de l’État central.

 

L’élection plébiscitaire de 2015

Cette déclaration au soir du 9 novembre se traduira un an plus tard par l’élection régionale du parlement catalan qui a été convertie par les indépendantistes en un scrutin plébiscitaire. Le parti d’Artur Mas de droite (CDC), le parti d’Oriol Junqueras de gauche (ERC) , les associations indépendantistes (ANC et Omnium) se rassemblèrent en une liste unique : Junts Pel Si (ensemble pour le oui). Seule l’extrême-gauche indépendantiste de la Cup fit bande à part, ne voulant pas s’amalgamer aux libéraux d’Artur Mas. Si Junts pel Si obtient la majorité absolue de suffrages au parlement, les indépendantistes promettent de déclarer l’indépendance de la Catalogne en 18 mois. La fameuse feuille de route. Concept que n’ont jamais reconnu les partis non-indépendantiste, rappelant que cette élection sert uniquement à designer un parlement régional au sein de la nation espagnole.

Tout ne se passe pas comme prévu : non seulement le cumul des listes indépendantistes n’obtient pas la majorité en voix, bloqués à 48%. Mais Junts Pel si n’a pas non plus de majorité absolue en sièges de députés (62) et va devoir demander le support de la Cup qui a obtenu 10 sièges. Les indépendantistes ne sont donc pas majoritaires en voix, mais grâce au découpage de la carte électorale ont réussit à décrocher une majorité absolue en nombre de députés : 72 sur 130.

Artur Mas qui se voulait le messie de la cause indépendantiste va pouvoir vivre son chemin de croix. L’accord électoral des différents partis au sein de la coalition Junts Pel Si prévoyaient qu’Artur Mas soit investit président pour un second mandat. Sauf que Junts Pel Si n’a pas les députés suffisants pour investir Mas et doit supplier La Cup d’apporter leur soutien décisif du haut de leur dix députés.

 

Hors de question pour le parti anarchiste de voter pour Artur Mas qui est l’incarnation physique, pour l’extrême gauche, de la corruption, du libéralisme et des coupes budgétaires dans les programmes sociaux. Après trois mois de négociations infructueuses, où la Catalogne est restée sans président, Artur Mas, menace de convoquer des élections si l’on ne l’investit pas président. Peine perdue, les sondages en cas d’un nouveau scrutin sont dramatiques pour le parti d’Artur Mas. Le Mont Golgotha d’Artur Mas sera le parc de la Ciutadella où, dans un coup de théâtre aussi inouï que soudain, le dimanche 12 janvier 2016, le parlement de Catalogne investit Carles Puigdemont 130e président de la Generalitat.

L’homme, inconnu du grand public, est maire de Gérone. De centre-droit, il appartient au parti d’Artur Mas. Son investiture a été négociée entre les équipes d’Artur Mas et la Cup. Pour Mas, avoir un homme de son parti investi président est une bonne chose. Si l’extrême-gauche séparatiste a avalisé Puigdemont, on comprendra plus tard, que sous sa carapace de centre-droit, Puigdemont partage un jusqu’au-boutisme indépendantiste semblable à celui de la Cup. Puigdemont est un très bon ami du député de la Cup Benet Salellas, lui aussi de Gérone et l’un des membres les plus radicaux du mouvement indépendantiste d’extrême-gauche.

Sous l’égide de Puigdemont, la désobéissance à l’État espagnol est érigée en dogme pour le plus grand plaisir de la Cup. Cependant, fidèle à l’esprit de son parti CDC, Carles Puigdemont s’est réuni quelques fois avec le président Rajoy pour proposer une indépendance concertée de la Catalogne. Evidemment sans succès aucun.

 

Le référendum du 1er octobre

Avec l’accord de la Cup, au printemps 2016, Carles Puigdemont annonce que la Catalogne organisera un référendum d’autodétermination en octobre 2017 avant ou sans l’aval de Madrid. Jusqu’à l’été, Puigdemont essaie de négocier avec Mariano Rajoy pour que l’Espagne et la Catalogne organisent leur référendum. Refus catégorique de Rajoy. Au contraire, Mariano Rajoy, en campagne électorale pour sa réélection, va jouer à fond la carte anti-indépendance. En se présentant comme le garant de l’unité nationale face à la dérive indépendantiste, en plein résultat du Brexit, Mariano Rajoy a marqué des points dans l’électorat conservateur et âgé. Le prix à payer est lourd en Catalogne : après la campagne électorale tous les ponts sont rompus entre l’État central et la Catalogne.

A partir de ce moment tout s’accélère. Les membres les plus modérés du gouvernement catalan démissionnent. Carles Puigdemont s’éloigne de plus en plus de son parti pour vivre une lune de miel avec la Cup. Les 5 et 6 septembre, le point de non retour est atteint : le parlement catalan vote en désobéissance totale avec les textes espagnols la loi encadrant le référendum ainsi que la législation entourant la déconnexion de la Catalogne si le oui l’emporte le 1er octobre.

La réponse de l’État espagnol a été cinglante : fermeture des sites webs du référendum par la police espagnole. La fameuse Guardia Civil effectuent des perquisitions dans les rédactions de journaux catalans qui diffusaient la campagne de publicité référendaire. Blocage des comptes bancaire de la Generalitat, mettant fin de facto à l’autonomie du gouvernement catalan. Placement en garde à vue de la moitié des responsables du ministère de l’économie catalan. Pourtant le président Puigdemont ne renonce pas : le référendum est toujours convoqué pour le 1er octobre. La rue soutient le président, des manifestations monstres ont lieu quotidiennement dans toute la Catalogne. Les regards européens sont tournés vers Barcelone.

Le président Puigdemont a promis de déclarer unilatéralement l’indépendance si le oui gagne. Une proclamation qui pourrait arriver quelques heures après la clôture du scrutin. Si le référendum est finalement empêché par l’Espagne, Puigdemont peut utiliser la majorité absolue parlementaire pour déclarer l’indépendance. Accompagné d’un mai 68 version catalane dans les rues de Barcelone.

VIDEO

 

Ce qu'il faut retenir du référendum en Catalogne du 1er octobre

Malgré la pression policière et les débordements des forces de l'ordre espagnoles (Policia Nacional et Guardia Civil) dans certains bureaux de vote particulièrement à Barcelone, la Catalogne a pu organiser son référendum d'auto-détermination interdit par la cour constitutionnelle espagnole.

Voici ce qu'il faut retenir de cette journée qui restera comme la plus sombre de l'Espagne depuis le retour de la démocratie en 1975.

 

Quels sont les résultats?

La Generalitat a communiqué, à la première heure de ce lundi, les résultats. 2,2 millions de Catalans ont voté lors de ce référendum d'auto-détermination interdit par Madrid. Un chiffre légèrement inférieur à celui de la consultation du 9 novembre  2014 où 2,3 millions de personnes s'étaient déplacées pour (déjà) dire "oui" à l'indépendance de la Catalogne. Une consultation sans valeur légale. A noter qu'en septembre 2015, 4.130.196 votants s'étaient rendus aux urnes pour les élections régionales qui avaient des allures de référendum lançant le processus vers l'indépendance. 
Ce 1er octobre, le "oui" l'emporte avec un petit peu plus de 90% des voix, soit 2.020.144 voix. Un chiffre conforme aux dernières élections puisqu'en 2014, 2.116.401 voix s'étaient portées sur le "oui" et la coalition indépendantiste avait rassemblé 1.966.508 voix aux régionales de 2015.

Quelle est la réponse de Madrid?

Le Premier Ministre espagnol, Mariano Rajoy, et sa vice-présidente, Saenz de Santamaria, ont semblé vouloir rester sourds au message du peuple catalan. Pour Madrid, "il n'y a pas eu de référendum aujourd'hui'. Le gouvernement espagnol réunira le congrès des députés dès ce lundi à Madrid pour évoquer le futur "commun" du pays.
Rajoy a justifié l'action de la police qui a "accompli son devoir et exécuté le mandat de la justice". "La force de la démocratie a parlé" s'est exprimé le chef des conservateurs. Il reste par ailleurs sur ses positions concernant l'éventuel dialogue avec la Catalogne qui se fera "dans le respect de la loi". Loi qui interdit toute indépendance d'une région autonome. Autant dire que la situation est bloquée.

 

Quel est le bilan des affrontements entre la police et les votants?

Les chiffres ont été communiqués par le département de la santé dépendant de la Generalitat de Catalogne et par le ministère de l'Intérieur espagnol. Autant dire qu'ils peuvent être pris avec précaution.
Le département de la santé fait part de 844 blessés dont deux personnes se trouvent dans un état très grave.
Côté police, 33 agents ont été touchés.

 

Quelles réactions internationales?

Le monde entier a vu les images de la police à l'assaut des urnes tourner en boucle sur les réseaux sociaux. Des images qui ont choqué puisque venant du coeur de l'Europe dans un pays démocratique. 
Les instances européennes n'ont pas réagi officiellement ce dimanche. Un silence pesant tout comme celui du gouvernement français et du président de la République, Emmanuel Macron. Seul Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, invité sur un plateau de télé s'est exprimé sur le sujet en bottant en touche parlant d'une affaire espagnole.
En France, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Benoît Hamon, notamment, ont fait part de leur inquiétude voire de leur indignation devant ces images.
Localement, aucun parlementaire du département des Pyrénées-Orientales, pas plus que le maire de Perpignan, ni la présidente du Conseil départemental ni celle du Conseil régional, ne sont exprimés sur le sujet.
Pourtant, dans son discours durant la soirée électorale, Carles Puigdemont, le président de la Generalitat, a lancé un appel "à l'Europe et à tous les députés de tous les pays démocratiques du monde" leur suppliant de "ne plus regarder ailleurs" et "d'intervenir pour rétablir le dialogue entre l'Espagne et la Catalogne".

 

Et maintenant?

Clairement, la suite du processus dépend du sort de Mariano Rajoy. Désavoué dans la rue, même à Madrid où une inédite manifestation pro-référendum a rempli la Puerto del Sol ce dimanche soir, le Premier ministre pourrait voir son fauteuil vaciller, sa majorité ne reposant que sur une coalition fragile.
De plus, dès le 3 octobre, de nombreuses organisations syndicales appellent à une grève générale. Que ce soit en Catalogne ou en Espagne. Un vent de fronde, alimenté par l'image déplorable laissée par les affrontements autour de ce référendum, et qui pourrait bien avoir raison de Rajoy.
S'il parvenait toutefois à rester à la tête du gouvernement, Rajoy sera-t-il le plus à même de négocier avec les Catalans plus déterminés que jamais? Pas sûr qu'on sorte de l'impasse dans les jours à venir.

Date de dernière mise à jour : lundi, 02 octobre 2017

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