L'année suivante, de véritables fouilles archéologiques commencent, avec l'aide de représentants de la nation Heiltsuk. Les scientifiques "creusent à la truelle des puits de deux mètres de profondeur" dans lesquels des sédiments sont prélevés, détaille Duncan McLaren. "La terre est ensuite filtrée par des tamis dont les mailles ne font que quelques millimètres" dans l'espoir de retrouver des objets ou des restes d'animaux.
Les recherches aboutissent finalement en mars 2017, avec la découverte de squelettes de poissons et de mammifères marins, de restes de crustacés, ainsi que d'instruments en bois. Parmi ces derniers, un propulseur préhistorique, qui sert à lancer des projectiles, des pointes de lances, des crochets pour pêcher ou encore un dispositif pour faire du feu.

Sur le chantier de fouilles de l'île Triquet, la terre prélevée à deux mètres de profondeur est passée au tamis dans l'espoir de trouver des traces de vie humaine. (Grant Callegari / Hakai Institute)
Sur cet îlot de la côte pacifique canadienne, les preuves de vie humaine ont pu être préservées durant des millénaires. "C'est un endroit où nos ancêtres se sont réfugiés pour survivre", confie à la chaîne CBC (article en anglais), William Housty, membre des instances dirigeantes des Heiltsuk. "Contrairement à la plupart des endroits sur Terre, le niveau de la mer autour de l'île Triquet est resté quasiment stable depuis 15 000 ans", explique Duncan McLaren.
L'institut Hakai, qui finance les fouilles, rappelle néanmoins que "ce site, s'il est l'un des plus vieux sur la côte ouest nord-américaine, n'est en aucun cas le plus vieux en Amérique du Nord." En 2017, des vestiges osseux d'animaux avaient par exemple été mis au jour dans les grottes de Blue Fish, dans la province du Yukon, dans le nord-ouest du Canada, attestant d'une présence humaine vieille de 24 000 ans.
Pourtant, la découverte de l'équipe de Duncan McLaren est loin d'être anodine. Avec d'autres, elle remet en cause une théorie largement popularisée sur le peuplement du continent, celle du modèle de Clovis. Celui-ci veut que des hommes aient profité de l'assèchement du détroit de Béring pour passer à pied de la Sibérie à l'Alaska, avant de pénétrer dans les terres via un corridor libéré des glaciers à l'est des montagnes Rocheuses.
Pour l'équipe de l'île Triquet, un autre scénario est désormais possible. Après avoir traversé ce qui est devenu le détroit de Béring, les hommes, pour éviter les glaciers qui occupaient la quasi-totalité de l'intérieur du Canada actuel, auraient longé la côte pacifique par voie maritime, dans des embarcations sommaires. Ils ont aussi pu se déplacer dans ces bateaux, d'étape en étape, en suivant les côtes, de l'extrême est de la Sibérie à la Colombie-Britannique. "Nos données, les outils et les preuves issues du datage par carbone 14 laissent penser que ces hommes étaient en mesure de voyager par bateau", a ainsi confié Alisha Gauvreau à la chaîne CTV News (article en anglais). "Cela change ce que l'on sait sur la façon dont l'Amérique du Nord a été peuplée." "Les premiers habitants n'ont pu accéder à l'île Triquet que par bateau", affirme encore Duncan McLaren à franceinfo.
Les outils et os déterrés sur l'île permettent aussi de mieux comprendre le mode de vie des premiers habitants du continent. "Ils comptaient sur les animaux marins et les crustacés pour se nourrir. Or, on pensait que les hommes du Pléistocène [la période géologique qui s'étend de -2 millions d'années à -10 000 ans avant J-C], étaient majoritairement des chasseurs de gros animaux terrestres", s'enthousiasme l'anthropologue.
Les recherches ne sont cependant pas terminées. Sur l'île Triquet, les fouilles vont continuer pour essayer de remonter le plus loin possible dans l'histoire humaine. Les objets déjà déterrés seront désormais conservés par le musée de Colombie-Britannique, à Victoria, à 500 kilomètres au sud-est de l'île qui les a protégés durant des millénaires.
Source : CTV News, CBC,Demotivateur, France info