Empêcher la diffusion des vidéos de la police
C’est d’autant plus préoccupant que cette proposition de loi prévoit des entraves majeures à la possibilité, essentielle dans un état de droit, de filmer et diffuser des images des forces de l’ordre, alors que ces dernières années, de nombreuses vidéos prises par des journalistes ou de simples citoyens ont permis de rendre publics des cas de violations des droits humains. Nous estimons que cette proposition de loi conduirait la France à ne pas être en conformité avec ses engagements internationaux en matière de droits humains. Toute restriction à ces droits doit être conditionnée au strict respect des principes de légalité, nécessité et proportionnalité, inscrits dans le droit international. Nous alertons les parlementaires sur les risques graves d’une telle proposition pour le droit à la liberté d’expression, et les appelons à se mobiliser dans le cadre de l’examen parlementaire pour supprimer l’article 24 de la proposition.
Un risque majeur pour la liberté d’informer
Cet article 24 de la proposition de loi prévoit de sanctionner très lourdement (jusqu’à un an de prison et 45 000 euros d’amende) le fait de diffuser des vidéos dans lesquelles des policiers ou des gendarmes seraient identifiables « dans le but qu’il soit porté atteinte à [leur] intégrité physique ou psychique ». Dans les faits, cette disposition ouvre la voie à des interprétations divergentes et arbitraires, notamment la notion d’intégrité psychique. Si elle est adoptée, elle entravera le travail des journalistes. Les citoyens ne pourront plus apporter de preuves de violences policières. Nous utilisons nous-mêmes de telles vidéos, après analyse et authentification, dans le cadre de notre recherche. Avec une telle disposition disparaît la possibilité de faire des vidéos en direct, par peur de la sanction, qui s’ajoute au risque de censure par les plateformes de réseaux sociaux. Ceci constituera un risque majeur pour la liberté d’informer, corollaire essentiel du droit à la liberté d’expression.
Toute restriction au droit de diffuser des images des forces de l’ordre doit poursuivre un objectif légitime (sécurité nationale, ordre public, droits d’autres personnes) et être strictement nécessaire et proportionnée. Si, dans certaines situations particulières, l’interdiction de filmer et diffuser peut être légitime, par exemple lors d’une opération anti-terroriste, les entraves à la liberté d’informer contenues dans ce projet de loi conduiront à ce que des violations des droits humains ne soient pas documentées. Ceci pourrait contribuer à une culture de l’impunité qui porte finalement atteinte à l’image des forces de l’ordre et contribue à saper lien de confiance nécessaire entre les forces de l’ordre et la population.
Un danger pour le droit à la vie privée et le droit de manifester
La proposition de loi « Sécurité globale » élargit également la possibilité pour la police de filmer les citoyens en utilisant d’avantage de caméras piétons (article 21) ou « aéroportées » et même des drones (article 22). Nous appelons les parlementaires à supprimer ou substantiellement amender ces articles. Les agents de police pourront à présent accéder directement aux enregistrements (article 21), ce qui leur était interdit jusque-là. Ceci pourrait s’avérer problématique en cas d’enquête sur des pratiques illégales par les forces de l’ordre. Certes, ces caméras pourraient dissuader certains policiers d’utiliser la force. Mais si le choix de démarrer ou d’arrêter les enregistrements leur revient, il y a un risque qu’ils soient biaisés et sélectifs. Nous recommandons la plus grande prudence sur le port par les forces de l’ordre de caméras piétons : il faut prendre en compte les risques pour les droits fondamentaux, en particulier le droit à la vie privée, le droit à la dignité des personnes filmées et le droit de manifester.
De plus, avec l’article 22 élargissant l’usage des drones, risquer d’être filmé peut dissuader des personnes de participer à des rassemblements pacifiques, notamment si elles craignent des poursuites ultérieures pour le simple fait d’y avoir participé. Ça a déjà été le cas en France. Nous avons déjà documenté des situations où des manifestants rassemblés pour défendre les droits des soignants, par exemple, ont reçu des amendes après avoir été identifiés par des caméras de surveillance. Ils ont été sanctionnés pour participation à une manifestation interdite, alors même que cette interdiction prise par le gouvernement a ensuite été jugée illégale car disproportionnée.
La surveillance de masse en marche
En l’état, la proposition de loi ouvre la possibilité d’être filmé par les forces de l’ordre dans pratiquement tout l’espace public. Les rapporteurs voudraient même faciliter la transmission aux autorités des vidéos des immeubles d’habitation. Rien dans la proposition de loi actuelle ne garantit que les images captées par les autorités ne feront pas in fine l’objet d’un traitement par des logiciels de reconnaissance faciale, une technologie en plein développement.
Partout dans le monde, nous demandons l’interdiction de l’utilisation de systèmes qui permettraient une surveillance indiscriminée, voire de masse, tant par les organismes d’État que par les acteurs du secteur privé. Or, dans cette proposition de loi qui prévoit que les autorités pourront très largement filmer les personnes dans l’espace public, des amendements ont déjà été déposés pour introduire la reconnaissance faciale. Ceci porterait une atteinte disproportionnée au respect du droit à la vie privée. Nous demandons donc que la France écarte explicitement la possibilité d’y recourir. Les entraves au droit de filmer la police, contenues dans cette proposition de loi, et l’élargissement du droit des forces d’ordre à filmer les citoyens, sont contraires aux obligations internationales de la France. Ces deux évolutions concomitantes vont à l’encontre de nos recommandations pour un maintien de l’ordre basé sur le dialogue, la désescalade et le respect des droits humains.